jeudi 31 juillet 2014

La chirurgie crânienne sous l'empire Wari

La chirurgie crânienne est une opération particulièrement délicate, aujourd'hui encore (il faut un environnement aseptique, des instruments chirurgicaux spécialisés et de grandes quantités de médicaments contre la douleur pendant et après).

Toutefois, les données montrent que les guérisseurs du Pérou pratiquaient la trépanation, une procédure chirurgicale qui consiste à enlever une partie de la voûte crânienne en utilisant une perceuse à main ou un outil de curetage, il y a plus de 1000 ans.

Ils traitaient une grande variété de maladies, depuis les blessures à la tête jusqu'aux maladies du cœur.

 Légende: Il y a quelques 900 ans, un guérisseur péruvien a utilisé une perceuse à main pour faire des dizaines de petits trous dans le crâne d'un patient.


Des fouilles ont eu lieu dans des grottes funéraires dans la province andine d'Andahuaylas  dans le centre-sud du Pérou. Danielle Kurin, bioarchéologue de l'UC Santa Barbara, et son équipe de recherche ont mis au jour les restes de 32 individus qui remontent à la période intermédiaire tardive (1000-1250 après JC).

En tout, 45 procédures distinctes de trépanation étaient visibles.

Selon Kurin, qui est aussi professeur au Département d'anthropologie à l'UCSB et spécialiste en anthropologie médico-légale ,"lorsque vous receviez un coup sur la tête entrainant un gonflement dangereux de votre cerveau, ou si vous aviez une sorte de maladie neurologique, spirituel ou psychosomatique, percer un trou dans la tête était une chose évidente à faire."

Pour Kurin, les trépanations sont d'abord apparues sur les hauts plateaux andins du centre-sud au cours de la période intermédiaire précoce (200-600 après JC), bien que la technique n'était pas universellement pratiquée.
Pourtant, elle était un acte médical viable jusqu'à ce que les espagnols mettent le holà à cette pratique au début du 16ème siècle.

Une méthode de coupe a été utilisée pour cette trépanation incomplète. Le patient est décédé avant que l'os ait pu être retiré. Photo Credit: Danielle Kurin

Kurin a cherché à savoir comment la trépanation est apparue: "Pendant environ 400 ans, de 600 à 1000, la région où je travaille, les Andahuaylas, était une province prospère au sein d'un empire énigmatique connu sous le nom de Wari. Pour des raisons encore inconnues, l'empire s'est soudainement effondré." Et l'effondrement de la civilisation, a-t-elle noté, a apporté son lot de problèmes. "Mais c'est précisément en période d'effondrement que nous voyons la résilience et le courage de gens arriver au premier plan," a continué Kurin "la  trépanation a répondu à de nouveaux défis tels que la violence, la maladie et la dépravation, il y a 1000 ans."

L'étude de Kurin montre les différentes pratiques de coupe et techniques utilisées par les praticiens à la même époque.

Certains ont utilisé le raclement, d'autres ont utilisé la coupe et d'autres encore ont fait usage d'une perceuse à main. "On dirait qu'ils ont essayé différentes techniques, de la même façon que nous pourrions essayer de nouvelles procédures médicales aujourd'hui", dit-elle. "Ils expérimentaient différentes façons de découper le crâne."

Ici, plusieurs trous de trépanation ont été forés sur une superficie tachetée où l'os était enflammé. La chirurgie a pu être faite pour soulager la douleur causée par une infection grave. Photo Credit: Danielle Kurin

Parfois, ils réussissaient et le patient récupérait, et parfois les choses n'allaient pas aussi bien. "Nous pouvons dire si une trépanation a été suivie d'une guérison lorsque nous voyons le développement de projections d'os en forme de doigt", explique Kurin, "Nous avons plusieurs cas où une personne a subi une fracture de la tête et a été traitée avec la chirurgie; dans de nombreux cas, la blessure originelle ainsi que la trépanation ont guéri."

Cela pouvait prendre plusieurs années pour que l'os repousse, et dans certains cas, un trou de trépanation pouvait rester dans la tête du patient pour le reste de sa vie, ce qui devait lui conférer un statut de «survivant».

Lorsqu'un patient ne survivait pas, son crâne (toujours celui d'un homme: la pratique de la trépanation sur les femmes et les enfants était interdite dans cette région) était donné à la science, pour ainsi dire, et utilisé à des fins éducatives.

"L'objectif de cette chirurgie est de percer l'os sans toucher le cerveau", ajoute Kurin, "cela demande un excellent talent et beaucoup de pratique."

En tant que bioarchaéologue, elle peut affirmer que les expériences étaient menées sur des corps morts depuis peu, car elle a pu mesurer l'emplacement et la profondeur des trous de forage: "Dans un des cas, chaque trou est percé un peu plus profondément que le précédent. On peut donc imaginer une personne dans son école préhistorique de médecine péruvienne, en train de pratiquer avec sa perceuse à main pour savoir combien de temps il a besoin pour tourner et pénétrer avec précision l'épaisseur d'un crâne."

Certains pourraient considérer que percer un trou dans la tête de quelqu'un était une forme de torture, mais Kurin ne le perçoit pas ainsi: "Nous pouvons voir l'endroit des trépanations: les cheveux y ont été rasés et une tâche noire qui est celle d'un remède à base de plantes apparait sur la plaie. Pour moi, ce sont des signes montrant l'intention de sauver la vie de l'individu malade ou blessé."

Les restes que Kurin a étudié dans les grottes d'Andahuaylas comprennent peut-être l'une des plus grandes collections les mieux contextualisées au monde.
La plupart des crânes trépanés déjà étudiés sont dans des musées tels que la Smithsonian Institution, le Field Museum of Naturel History ou le Hearst Museum of Anthropology.
"La plupart ont été recueillis par les archéologues il y a un siècle et nous ne disposions pas d'informations contextuelles," dit-elle.

Mais grâce aux fouilles archéologiques de Kurin sur de tombes intactes et l'analyse méthodique des squelettes humains et des momies qui y sont enterrés, elle sait exactement où, quand et comment les vestiges qu'elle a trouvé ont été enterrés, ainsi que qui et ce qui a été enterré avec eux.

Elle a utilisé la datation au radiocarbone et l'étude des insectes afin de déterminer pendant combien de temps les corps ont été abandonnés avant de devenir squelette ou de se momifier. Des tests multi-isotopiques ont permis de reconstruire ce qu'ils ont mangé et où ils sont nés. "Cela nous donne beaucoup d'informations", dit-elle, "ces peuples anciens ne peuvent pas nous parler directement, mais ils nous donnent des informations qui nous permettent de reconstituer certains aspects de leur vie, de leur mort et même ce qui s'est passé après leur mort. Surtout, nous ne devrions pas chercher à y voir une période d'effondrement comme le début d'un « âge sombre », mais plutôt comme une époque qui engendre la résilience et des innovations étonnantes au sein de la population."

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